Le programme et les fondements du Parti Radical de Gauche
Qu'est-ce que le Radicalisme ?
Léon Gambetta
Extrait de l'ouvrage “La gauche en France”, de Michel Winock (Éditions Perrin, 2006)
(…) Dès lors qu'on s'interroge sur l'histoire de la gauche, on est amené - tout de même que pour la droite - à employer le pluriel. Si ” être de gauche ” se réfère à une éthique, à une philosophie, dont les racines plongent dans les Lumières et la Révolution, force est de constater qu'il y a bien des manières de traduire en politique l'idéologie du progrès contre l'idéologie de la tradition. (…)
Nous pouvons distinguer trois gauches, issues de trois révolutions successives : celle de 1789, la révolution industrielle du XIXè siècle, et la révolution bolchevique. Trois révolutions, trois gauches, c'est lumineux. Oui mais il en est une quatrième, qui n'a jamais cessé de souffler sur les braises, à côté ou en marge des autres, qu'on appelle soit l'ultragauche, le gauchisme, ou la gauche de la gauche. Une gauche critique de la gauche, et qui est parfois à l'origine des trois autres. Ainsi Marx, prophète de la gauche socialiste et communiste, ne se disait pas ” de gauche “. L'expression était, on le sait, d'origine parlementaire, et Marx brocardait volontiers le ” crétinisme parlementaire “. (…) Essayons de définir, dans le cadre français, quatre familles de gauche, que le filtre de l'histoire a maintenues jusqu'à nos jours, à travers leurs avatars et leurs interférences.
1. La gauche républicaine et les radicaux
(…) Précisons d'emblée que cette gauche-là, née de la Révolution, n'a pas été d'emblée républicaine. Sous la Restauration, elle se disait ” libérale “, s'opposant à toutes les volontés et velléités d'un retour à l'Ancien Régime tel que l'incarnait un Charles X. Benjamin Constant, le meilleur orateur de cette gauche libérale, n'était nullement républicain : il défendait la liberté, qui était tout uniment la liberté individuelle (contre les puissances tutélaires d'un ordre monarcho-catholique) et la liberté publique (contre l'autorité exclusive d'un appareil d'État sans contrepoids). La principale revendication de cette gauche était la liberté de la presse, et l'on sait que, en raison des atteintes que Charles X a tenté de porter à celle-ci par ses ordonnances de 1830, les ” Trois Glorieuses ” ont mis fin à son régime. Sous la monarchie de Juillet commence à prendre corps une gauche républicaine. A côté de la ” gauche dynastique “, qui constitue le parti du ” Mouvement ” face au parti de la ” Résistance “, qui se confond avec la politique conservatrice du régime (Guizot), il existe une mouvance républicaine composée de diverses associations, et s'exprimant principalement dans deux journaux : Le National, fondé par Armand Carrel, et plus tard, en 1843, La Réforme, dont le plus important des actionnaires, Alexandre Ledru-Rollin, se pose en apôtre de la réforme politique et de la réforme sociale. Vaincus par le coup d'État du 2 décembre, les républicains reconstruisirent peu à peu leur mouvement sous le second Empire. Deux grandes figures en émergèrent, Jules Ferry et Léon Gambetta, futurs fondateurs de la IIe République.
De style différent, tous les deux ont acquis la conviction d'une nécessité : pour installer solidement la République, il fallait en finir avec les barricades, il fallait rallier l'immense opinion paysanne, fonder la démocratie rurale ; c'est par la modération qu'ils y parviendraient. Ferry, comme tous les républicains modérés, a été hostile à la Commune de Paris, cette ” saturnale sans idée et sans plan ” ; Gambetta, retiré après la défaite des armées françaises face aux Prussiens, est resté silencieux. Dans les années qui ont suivi, Ferry et Gambetta ont été les éloquents commis voyageurs de le République. C'est en ce sens qu'ils sont à gauche, dès lors que l'affrontement central est celui des républicains et des conservateurs. La crise du 16 mai 1877 et sa conclusion par la victoire électorale des républicains décident en faveur d'un régime parlementaire, libéral et laïc.
Face à cette gauche républicaine, à ces républicains de gouvernement, comme on les appelle à ces ” opportunistes “, se dresse bientôt contre eux, à leur gauche, un parti de l'intransigeance : le radicalisme. Les hommes qui animent cette tendance, les Clemenceau, les Pelletan, les Brisson, se sont opposés aux concessions acceptées par les modérés : un président de la République, le septennat, une seconde Chambre (le Sénat). Ils se disent ” radicaux ” mais restent avant tout fidèles au programme républicain de 1869. (…) Les radicaux créent en 1901 le Parti radical et radical-socialiste. Ils représentent bientôt au Parlement la principale formation de gauche : en 1902, au moment du Bloc des gauches (c'est alors que le terme est définitivement d'usage courant dans les campagnes électorales), les radicaux constituent la majorité, et c'est l'un des leurs, Émile Combes, qui se lance dans une politique anticléricale dont l'aboutissement sera, en décembre 1905, le vote de la loi de séparation des Églises et de l'État. Il reste encore des républicains modérés dans cette majorité de gauche issue de l'affaire Dreyfus, mais on assiste, de 1898 à 1919, à un décrochage progressif de ces modérés vers la droite. Pour eux, de Méline à Poincaré, le danger n'est plus représenté par la droite cléricale et royaliste, surtout après la loi de Séparation ; le danger vient de l'extrême gauche socialiste de sorte qu'ils composeront une droite républicaine, généralement regroupés dans l'Alliance démocratique. Dès lors, la République ne sera plus un monopole de la gauche, quand bien même ce sont les formations de la gauche parlementaire, au premier chef les radicaux, qui portent au plus haut ses idéaux fondateurs.
Qu'est-ce que le radicalisme ? (…) Entre les deux guerres mondiales, Édouard Herriot en est le meilleur porte-parole. Pour lui, ” les racines de notre doctrine ” remontent au XVIII siècle, et il se réclame surtout de Condorcet. (…) Libéraux en économie parce qu'ils combattent le marxisme et toutes les formes de collectivisme, ils sont néanmoins adversaires du ” laisser-faire, laisser-passer “, et partisans de l'intervention de l'État, notamment en matière de justice fiscale. Ils ont été à l'origine du vote de l'impôt sur le revenu (15 juillet 1914). Surtout, et en quoi ils sont conditionnés par une société largement composée de petits producteurs indépendants, ils veulent la disparition du salariat, ” mais ils ne la conçoivent que par l'accession de l'ouvrier à la propriété et à la liberté, dans le développement de l'association “. Le radical-socialisme, qui s'est longtemps confondu avec l'histoire de la IIè République, n'a pas survécu aux bouleversements de la Seconde Guerre mondiale et des ” Trente Glorieuses “. Les radicaux rêvaient d'abolir le salariat, et la part des salariés dans la population active n'a cessé de croître. Le programme laïque, longtemps son principal objectif, a été réalisé à peu près complètement (sauf en Alsace et en Moselle). (…)
(…) Dès lors qu'on s'interroge sur l'histoire de la gauche, on est amené - tout de même que pour la droite - à employer le pluriel. Si ” être de gauche ” se réfère à une éthique, à une philosophie, dont les racines plongent dans les Lumières et la Révolution, force est de constater qu'il y a bien des manières de traduire en politique l'idéologie du progrès contre l'idéologie de la tradition. (…)
Nous pouvons distinguer trois gauches, issues de trois révolutions successives : celle de 1789, la révolution industrielle du XIXè siècle, et la révolution bolchevique. Trois révolutions, trois gauches, c'est lumineux. Oui mais il en est une quatrième, qui n'a jamais cessé de souffler sur les braises, à côté ou en marge des autres, qu'on appelle soit l'ultragauche, le gauchisme, ou la gauche de la gauche. Une gauche critique de la gauche, et qui est parfois à l'origine des trois autres. Ainsi Marx, prophète de la gauche socialiste et communiste, ne se disait pas ” de gauche “. L'expression était, on le sait, d'origine parlementaire, et Marx brocardait volontiers le ” crétinisme parlementaire “. (…) Essayons de définir, dans le cadre français, quatre familles de gauche, que le filtre de l'histoire a maintenues jusqu'à nos jours, à travers leurs avatars et leurs interférences.
1. La gauche républicaine et les radicaux
(…) Précisons d'emblée que cette gauche-là, née de la Révolution, n'a pas été d'emblée républicaine. Sous la Restauration, elle se disait ” libérale “, s'opposant à toutes les volontés et velléités d'un retour à l'Ancien Régime tel que l'incarnait un Charles X. Benjamin Constant, le meilleur orateur de cette gauche libérale, n'était nullement républicain : il défendait la liberté, qui était tout uniment la liberté individuelle (contre les puissances tutélaires d'un ordre monarcho-catholique) et la liberté publique (contre l'autorité exclusive d'un appareil d'État sans contrepoids). La principale revendication de cette gauche était la liberté de la presse, et l'on sait que, en raison des atteintes que Charles X a tenté de porter à celle-ci par ses ordonnances de 1830, les ” Trois Glorieuses ” ont mis fin à son régime. Sous la monarchie de Juillet commence à prendre corps une gauche républicaine. A côté de la ” gauche dynastique “, qui constitue le parti du ” Mouvement ” face au parti de la ” Résistance “, qui se confond avec la politique conservatrice du régime (Guizot), il existe une mouvance républicaine composée de diverses associations, et s'exprimant principalement dans deux journaux : Le National, fondé par Armand Carrel, et plus tard, en 1843, La Réforme, dont le plus important des actionnaires, Alexandre Ledru-Rollin, se pose en apôtre de la réforme politique et de la réforme sociale. Vaincus par le coup d'État du 2 décembre, les républicains reconstruisirent peu à peu leur mouvement sous le second Empire. Deux grandes figures en émergèrent, Jules Ferry et Léon Gambetta, futurs fondateurs de la IIe République.
De style différent, tous les deux ont acquis la conviction d'une nécessité : pour installer solidement la République, il fallait en finir avec les barricades, il fallait rallier l'immense opinion paysanne, fonder la démocratie rurale ; c'est par la modération qu'ils y parviendraient. Ferry, comme tous les républicains modérés, a été hostile à la Commune de Paris, cette ” saturnale sans idée et sans plan ” ; Gambetta, retiré après la défaite des armées françaises face aux Prussiens, est resté silencieux. Dans les années qui ont suivi, Ferry et Gambetta ont été les éloquents commis voyageurs de le République. C'est en ce sens qu'ils sont à gauche, dès lors que l'affrontement central est celui des républicains et des conservateurs. La crise du 16 mai 1877 et sa conclusion par la victoire électorale des républicains décident en faveur d'un régime parlementaire, libéral et laïc.
Face à cette gauche républicaine, à ces républicains de gouvernement, comme on les appelle à ces ” opportunistes “, se dresse bientôt contre eux, à leur gauche, un parti de l'intransigeance : le radicalisme. Les hommes qui animent cette tendance, les Clemenceau, les Pelletan, les Brisson, se sont opposés aux concessions acceptées par les modérés : un président de la République, le septennat, une seconde Chambre (le Sénat). Ils se disent ” radicaux ” mais restent avant tout fidèles au programme républicain de 1869. (…) Les radicaux créent en 1901 le Parti radical et radical-socialiste. Ils représentent bientôt au Parlement la principale formation de gauche : en 1902, au moment du Bloc des gauches (c'est alors que le terme est définitivement d'usage courant dans les campagnes électorales), les radicaux constituent la majorité, et c'est l'un des leurs, Émile Combes, qui se lance dans une politique anticléricale dont l'aboutissement sera, en décembre 1905, le vote de la loi de séparation des Églises et de l'État. Il reste encore des républicains modérés dans cette majorité de gauche issue de l'affaire Dreyfus, mais on assiste, de 1898 à 1919, à un décrochage progressif de ces modérés vers la droite. Pour eux, de Méline à Poincaré, le danger n'est plus représenté par la droite cléricale et royaliste, surtout après la loi de Séparation ; le danger vient de l'extrême gauche socialiste de sorte qu'ils composeront une droite républicaine, généralement regroupés dans l'Alliance démocratique. Dès lors, la République ne sera plus un monopole de la gauche, quand bien même ce sont les formations de la gauche parlementaire, au premier chef les radicaux, qui portent au plus haut ses idéaux fondateurs.
Qu'est-ce que le radicalisme ? (…) Entre les deux guerres mondiales, Édouard Herriot en est le meilleur porte-parole. Pour lui, ” les racines de notre doctrine ” remontent au XVIII siècle, et il se réclame surtout de Condorcet. (…) Libéraux en économie parce qu'ils combattent le marxisme et toutes les formes de collectivisme, ils sont néanmoins adversaires du ” laisser-faire, laisser-passer “, et partisans de l'intervention de l'État, notamment en matière de justice fiscale. Ils ont été à l'origine du vote de l'impôt sur le revenu (15 juillet 1914). Surtout, et en quoi ils sont conditionnés par une société largement composée de petits producteurs indépendants, ils veulent la disparition du salariat, ” mais ils ne la conçoivent que par l'accession de l'ouvrier à la propriété et à la liberté, dans le développement de l'association “. Le radical-socialisme, qui s'est longtemps confondu avec l'histoire de la IIè République, n'a pas survécu aux bouleversements de la Seconde Guerre mondiale et des ” Trente Glorieuses “. Les radicaux rêvaient d'abolir le salariat, et la part des salariés dans la population active n'a cessé de croître. Le programme laïque, longtemps son principal objectif, a été réalisé à peu près complètement (sauf en Alsace et en Moselle). (…)